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Mes étudiants à Bahati en Zambie

 

Dans les années 60 et 70, j’ai enseigné puis dirigé une école secondaire de la mission catholique dans la province du Lwapula, dans le nord de la Zambie, un milieu rural. Le pays venait d’accéder à l’indépendance de la Grande Bretagne. Mes étudiants provenaient de milieu pauvre où les habitants pratiquaient l’agriculture de subsistance ou la pêche artisanale. Ils avaient pu bénéficier d’une bonne formation primaire gratuite.

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Ces écoles se situaient dans les villages tout près où ils habitaient et se donnait dans la lange locale, le cibemba. La vie au village était dépourvue de tous les avantages de la vie moderne comme l’électricité et l’eau courante. Être sélectionné pour venir étudier à Bahati était un privilège très fortement recherché. Cependant, Bahati était un pensionnat, où ils étaient soumis à une discipline stricte et où l’enseignement se donnait en anglais.

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Comme Bahati était une nouvelle institution, nous devions tout créer avec peu de ressources financières. Cela demandait beaucoup de créativité et d’implication de la part du personnel et des étudiants, tous des garçons.

Une des réalisations importantes fut la ferme.

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Après quelques années, entreprenant un projet à la fois, nous avons réalisé une porcherie, un poulailler, une bananeraie, un petit troupeau de vaches, un jardin potager et fruitier et enfin une culture de différentes céréales sur un espace de 5 hectares. Comme ces activités étaient nouvelles pour la plupart d’entre eux, il y a eu très souvent des tensions et des conflits que, comme directeur, je me devais de gérer. Si je leur demandais de faire quelque chose qu’ils n’aimaient pas, je m’impliquais moi-même à faire la chose avec eux.

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Je me distinguais en ceci des chefs africains. Mon principe était de ne jamais demander à d’autres de faire quelque chose que je n’étais pas prêt à entreprendre moi-même. Le programme du collège était tel qu’ils étaient confrontés à des changements qu’ils n’étaient pas toujours prêts à endosser. Selon eux, il n’était pas digne pour un étudiant au secondaire de se salir les mains sur la ferme. Je m’assurais que toutes nouvelles initiatives leur apporteraient des bénéfices concrets: Tout ce que la ferme produisait allait directement dans leurs assiettes.

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En dépit tout, il y eu des conflits. J’avais appris à percevoir les tensions avant qu’une crise ne se déclare et devienne hors de contrôle. Leur moyen préféré de manifester leur frustration et colère était de faire la grève et de s’enfermer dans leurs dortoirs. Ma réaction était également de faire la grève à ma façon en fermant mon bureau et à aller me promener dans la brousse. Cela me permettait de décompresser.

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Je revenais quelques heures plus tard et je me dirigeais vers les dortoirs. Je m’assoyais sur un lit en attendant que quelques étudiants viennent me voir et me parler. Je ne faisais qu’écouter puis je commençais à dialoguer. Surtout, j’essayais d’être juste, équitable avec tous et aimant. Puis je leur expliquais ce que je leur avais déjà expliqué mais qu’ils n’étaient alors pas prêts à entendre.

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Alors, la situation revenait à la normale. Il fallait leur laisser un espace pour exprimer leur colère. Ces crises permettaient à chacune des parties de faire les ajustements nécessaires. Tout se concluait par un bon repas. C’était comme après un orage. Il fallait qu’ils puissent manifester dans un premier temps leur opposition, pour qu’ensuite ils réalisent les bénéfices de ce qui leur était proposé et acceptent d’y participer volontairement.

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J’ai compris que le développement c’est une affaire endogène, ce sont les gens qui doivent travailler ensemble et apprendre à se prendre en main et acquièrent ainsi plus de maturité. À Bahati, je n’ai pas eu peur des crises qui la plupart du temps ont été bénéfiques à nos étudiants.

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La paix n’est jamais absence de conflit.

 

Par: Yves Morneau, Professionnel de la paix,

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